TEXTES TRANSMIS PAR LECTEURS ET ANIMATEURS


MARAT, CITOYEN RESPONSABLE


Par Gilles Riva - mai 2017


© POLENORDGROUP


Je ne remercierai jamais assez les travaux de l’asbl POLE NORD et maintenant de POLENORDGROUP qui m’ont fait découvrir la personnalité et l’orientation philosophique de Jean-Paul Marat, auquel je m’associe via les sites www.marat-jean-paul.org et www.metavolution.org qui acceptent de publier l’un ou l’autre de mes articles.


Marat parvient, à son époque, à provoquer, avec des conséquences sociales effectives,  des ralliements d’envergure autour de questions fondamentales.

Il sait éveiller les sensibilités, expliquer les manipulations des politiques et mobiliser les énergies de grands groupes. Il connaît aussi les forces et les limites des rôles qu’il adopte successivement ou parallèlement et qui font que beaucoup le lisent ou l’écoutent: le médecin, le physicien, le conseiller, le recours, l’annonciateur, voire l’enfant perdu exprimant son désespoir quand la route est barrée.

Comme Rousseau, il se livre comme citoyen responsable. Par la force d’une implication, théoriquement cohérente et mise en actes selon les rapports de forces, il arrive à tracer une voie qui donne une dimension à l’autonomie, une affirmation de la grandeur et de la solidarité dont peut être capable une vie sociale en évolution.


La stratégie de Marat, multiforme et à retournements - c’est ce qui a trompé tant d’exégètes superficiels - est justement ce qui lui permet de transmettre ses conceptions avec une force et une pertinence qui les agrippent à la réalité.

N’oublions pas que sa devise est «Vitam impendere vero» (Consacrer sa vie au Vrai). Revendiquant cette existence, passionnée par la défense de la Vérité et malgré les risques liés à ce défi, il dit et redit qu’elle lui offre les plus grands bonheurs.


Donnons un exemple concret de la subtilité de l’Ami du Peuple, car il n’y a pas de pire dévoiement que de dire qu’il est un violent à tout crin, un épouvantail sur pattes.

Non, il ne partage qu’une solidarité passagère – comme avec tous ceux que les pouvoirs peuvent mettre en péril -  avec les «Enragés», les «Exagérés» auquel on a tant voulu l’accoler et dont, jusqu’à son assassinat, il se démarque, de plus en plus explicitement. 

Certes, Marat se montre intraitable dans ses dénonciations «civiques» avérées, comme celles contre le ministre des Finances, Jacques Necker, quand celui-ci affame délibérément le peuple pour le soumettre et détruire son autonomie grandissante.

Il sait aussi se mettre pertinemment en scène, comme lors de la soirée VIP chez l’actrice Julie Talma où, volontairement habillé en sans-culottes - mais sciemment accompagné de deux témoins -, il vient réclamer des comptes sur ses campagnes au général Dumouriez, alors porté aux nues pour une victoire à Valmy en septembre 1792, ce qui ne l’empêchera pas de passer à l’ennemi et de trahir son pays, dès avril 1793.


Marat est également capable de prôner le plus grand calme comme conventionnel, pour éviter la guerre civile.

Enfin, il peut aussi «se mettre en attente» d’un hasard providentiel, d’un nouveau concours de circonstances, d’une rupture qui permettrait un dépassement nécessaire.


Malheureusement, nos approches scolaires de l’histoire se situent régulièrement à contre-courant d’une formation à la complexité des événements. Nous abordons l’étude de leur évolution avec une vision «progressiste», souvent fallacieuse !

Je me souviendrai toujours d’échanges éclairants que j’avais pu avoir avec un grand médiéviste, Jacques Heers, décédé en 2013, pour qui le Moyen Âge n’était pas du tout ce qui en était enseigné ou diffusé. Je recommande la lecture d’un de ses ouvrages Le Moyen Âge, une imposture, réédité chez Perrin en 2008. Aux cours, j’avais appris qu’après avoir subi le Moyen Âge, le monde s’était émancipé, faisant son chemin à la faveur d’un processus historique qui nous parlait de «renaissance», d’«émergence d’un peuple souverain» ou d’une «classe ouvrière victorieuse» alors que, soudain, nous plongions dans la défaite de la Commune de Paris puis dans les Grandes Guerres, pour déboucher sur notre mondialisation financière difficilement qualifiable de «merveilleuse». Et dans laquelle, combien rarement nous étaient explicités les désastreux colonialismes !


Mon décodage, en lien avec une personnalité comme Marat, contribue à m’éloigner définitivement de ces schémas qui figent les événements dans ces moules utopistes: l’histoire va son train, la force des choses nous mène vers le progrès, nous pouvons, sans crainte, «confier» nos vies, voter, sans véritables contrôles, pour des pouvoirs «tutélaires» et des institutions garants de nos droits et de la Liberté.

En réalité, les citoyens sont englués dans des cadres, soumis à des gouvernements asservissants et ils dorment ou se divertissent.

Et les citoyens responsables, eux, se retrouvent isolés.


Ce risque, Jean-Jacques Rousseau l’avait déjà bien perçu. Il deviendra le fondement de la pensée d’un Marat qui - à un moment de réveil - se positionnera immédiatement, en toute conscience, en nécessaire «Ami du Peuple». Que de fois ne somme-t-il pas le peuple de ne pas retomber dans la léthargie mentale, favorisée par toutes sortes de manipulations, de festivités et de conflits suscités.


Et nous ? Nous vivons une époque particulièrement difficile, car, partout, des Etats financiers maintiennent aliénations, antagonismes et misères. Ils y arrivent de plus en plus difficilement mais nos cerveaux sont bloqués et persistent, en majorité, à les voir comme «garants du bien public» ou comme «meilleurs démocrates» que tels ou tels autres Etats dénoncés dont ils cherchent pourtant les alliances ou avec lesquels ils entrent en guerre. Selon les intérêts.


Notre «humanité» est sévèrement menacée parce que, comme l’avait déjà bien prévu Alexis de Tocqueville au XIXe siècle pour la démocratie américaine, ce seront des «despotismes modernes» qui se feront passer, avec une grande habileté et des retournements politiques spectaculaires, pour les amis du peuple.


L’orientation de Marat est donc autant une antithèse de la position idéologique de droite que de gauche. Marat n’est jamais adepte d’un «parti» car il a constaté que, quels que soient un temps les mérites de tel ou tel regroupement, il n’évitera pas les courants variables, les factions. Ce qui importera, pour ces grands groupes aussi, ce sont des mesures de strict contrôle, pouvant éviter le dévoiement vers les assujettissements et l’éloignement du «bien public».


Dans son Histoire socialiste de la Révolution française, l’homme d’Etat influent qu’est Jean Jaurès s’en prend très violemment à Marat. Mais comment ne pas reconnaître que, certes, Jaurès a été tué par des adversaires politiques, mais que, peu après, juste avant la terrible Guerre de 1914-1918, son parti n’en a pas moins voté les crédits pour cet atroce conflit mondial qui a fait des dizaines de millions de morts. 


Je m’insurge donc contre les destructions de pensées comme celle d’un Marat car nous vivons, en ce début du XXIe siècle, une période où l’humanité doit absolument faire un bond, tant dans son développement cérébral que dans sa manière d’organiser la vie en société. Le monde actuel n’est pas encore notre Vérité humaine spécifique. Il s’en éloignera toujours tant qu’il nous limitera à du «travail» qui nous aliène et nous transforme en robots, en abstractions, seuls comme individus et en conflit comme groupes. Mais qui ose reconnaître cela franchement ?

J’espère du fond du cœur que nous allons, le plus vite possible, cesser d’accepter ce sort qui fait fi de nos qualités réelles. J’espère que nous pourrons saisir la «chance» que nous offrira un chambardement inéluctable des rapports de force pour nous décider à construire, de manière durable, un univers de citoyens humains solidaires.


Nous avons les moyens de toucher à ce vrai bonheur.

Nous en avons fourni la preuve à certains moments de notre Histoire.

Quelques mois pendant la Révolution française.