Marat-le-maximonstre


par Delphine Verdussen - 2011


© POLENORDGROUP



Ils me représentent sans cesse comme un anarchiste

qui foule aux pieds toutes les lois et qui ne se plaît que dans le désordre.

Ils me représentent comme un ambitieux qui vise au pouvoir.

Ils me représentent comme un anthropophage, un buveur de sang.

Ils me représentent comme un cerveau exalté, un être inconséquent.


Publiciste de la République française, n°147 du mardi 19 mars 1793



Marat présenté comme un maximonstre est une des fables dont ses opposants ont usé avec une belle constance. Les attributs horrifiques qu’on lui a collés à la peau ont revêtu, au fil des ans, des formes récurrentes, destinées à frapper l’imagination, à provoquer le dégoût et, surtout, à écarter de l’œuvre.


Pour favoriser cette inclination vers le maximonstre, Marat est - que nos amies les bêtes les excusent ! - rattaché à l’animalité: crapaud, serpent, insecte, sombre oiseau, loup, chien galeux, bête nuisible, hurlant le sang, humant le sang, buvant le sang… Il peut aussi - que les amoureux du théâtre leur pardonnent ! – être assimilé à celui qui, dans les foires, fait le pitre, le petit Faust de boulevard, le saltimbanque, le polichinelle, débitant sornettes et sottises, grossièretés et absurdités pour amuser et abuser le peuple crédule. Il se trouve enfin décrit - que les médecins non-moliéresques les absolvent ! – comme le charlatan, arbitre sans scrupules de la vie ou de la mort, vendeur d’orviétan, empoisonneur…

Ou comme un mélange des trois.


Ce compendium, initié du temps de Marat, est porté à un sommet par Jules Michelet et son image du «batracien». Il s’éternise complaisamment de nos jours.

C’est évidemment l’excès qui attire l’attention. L’Ami du Peuple bat peut-être tous les records, au point d’entraîner ses proches dans la dérive animalière. On apprend ainsi, dans un article de journal publié par la Biographie universelle (vol. 73, p. 7) que la plus jeune sœur de Marat, Charlotte-Albertine a des traits qui tiennent de la hyène et du tigre !

Et s’il fallait encore démontrer l’outrance, l’essai récent de Michel Onfray, La Religion du poignard – Hommage à Charlotte Corday aurait ce rôle. En effet, cet auteur se montre capable d’accumuler sur Marat, avec une exhaustivité qui étonne, le triple mélange des accusations et cela, sans l’ombre d’un scrupule envers des chercheurs sérieux qui ont pris à cœur – on pense à François Chèvremont, à Louis Gottschalk, à Robert Darnton, à Jacques De Cock, à Charlotte Goëtz – de contrer, preuves à l’appui, telle ou telle sornette. Misère de la philosophie ! Pauvres de nous !


Marat n’a pas ménagé, il est vrai, ceux qui entravent ou sabotent les tentatives de libération et de développement du peuple, ceux pour qui le Nouveau Régime sert surtout à cacher, derrière la bannière d’une liberté politique soi-disant reconquise, leurs nouveaux et exorbitants privilèges, tous ceux qui vont devenir les valets directs ou les paravents idéologiques de pouvoirs redorés, retirant de la nouvelle donne de juteux avantages personnels. Marat les attaque dans leurs fonctions, leurs trahisons manifestes, leur double langage : patriotes par ambition, espions de police, meneurs de troupes à la boucherie, folliculaires à la solde de Necker ou de Roland, mouchards de La Fayette…

Pour tous ceux-là qui, certes, ne le portent pas dans leur cœur, la fable du maximonstre est un bon plan. Vouloir être l’ami du peuple ? Paranoïa, dénaturation, manigance ! La confusion est alors semée à tout va entre le concept de peuple et celui de populace, entendez animaux féroces ou mouches à écraser !

Ils ne s’intéressent pas du tout aux travaux de Marat ni à leurs fondements, ne montent au créneau que sur son «style» qui manquerait de civilité, sur sa violence verbale. Sans vouloir ou pouvoir comprendre les raisons et le choix des rôles de Marat, sans même savoir à quel moment et pourquoi il décide d’assumer le scandale ou de calmer le jeu, sans remarquer non plus combien ce peuple si crédule peut le mettre en colère et l’irriter par ses enfantillages, son apathie, sa soumission, mais combien il l’aime. Ils imputent à son style de pamphlétaire outré des conséquences qu’il n’a pas - «Ecrirais-je ainsi, répète Marat, si je ne voyais pas à quel point le peuple dort» - ils en font le bouc émissaire des violences qui ne sont pas de son fait. Et s’il arrive que le peuple se révolte – mais qui peut croire un instant qu’un Marat puisse en être la cause ?, ils en font l’agent de tous les désastres, sans lever un sourcil sur les massacres, les guerres et les immenses destructions contre-révolutionnaires qui accablent les populations. Ils ne sont donc pas non plus capables de voir où un Marat peut se tromper ou quand il a besoin d’aide ou de relais, puisqu’ils ne peuvent voir en lui que la soif de puissance qui les anime et n’ont pas la moindre idée de ce que veut dire, pour cet homme-là, l’amour de la gloire.


Dans quelques nouveaux courants historiographiques – il était temps ! - la virulence et la perversité de la contre-révolution commencent à être prises en compte. S’il ne faut pas que cette orientation induise un pessimisme absolu, elle peut peut-être rétablir une mesure et éviter que des actes violents et regrettables, liés aux révoltes des esclaves, ne servent pas indéfiniment à couvrir ceux, tellement plus dévastateurs, des hommes d’Etat.


Pour ceux-ci, quoi de plus logique que de faire un monstre de l’énergumène qui sait cela et ne cesse de prophétiser cette virulence et cette perversité ? Quoi de plus politique que de faire de Marat, par  retournement, un être a-historique, qui n’a qu’une parole insensée et donc aucun droit à vouloir en donner une, humaine, à ceux qui en sont dépouillés depuis si longtemps.



















Petite sélection (non exhaustive) de formules rencontrées au cours des lectures

et dans laquelle on perçoit, à force, les refrains


Par ordre alphabétique des auteurs



Alembert Jean Le Rond d’ (1717-1783)


Un charlatan encyclopédique

  

Barère de Vieuzac Bertrand (1765-1841)


Ce n’était qu’un charlatan féroce et un écrivain peu estimé. Il n’était pas même brave, qualité nécessaire à un démagogue… Il avait d’ailleurs beaucoup de désintéressement ; il ne s’occupa jamais de sa fortune dont la générosité de ses sectateurs se serait chargée ; il est mort pauvre comme il a vécu… L’Histoire a enveloppé d’horreur la lugubre mémoire de ce démagogue soldé par le royalisme et par l’étranger.


Brissot Jacques-Pierre, dit Brissot de Warville (1754-1793)


Il fut en tout un comédien. Il défendit le peuple comme il avait défendu la vérité en physique, non pour être utile au peuple, Marat le méprisait, mais pour parvenir à ses fins, la flagornerie envers la multitude était le meilleur moyen, il l’employa. Si la tyrannie eût été plus facile, il l’eût préférée. Mais il fallait être tribun avant d’être tyran. Tous ses mouvements étaient d’un saltimbanque. Il semblait voir un polichinelle dont on tirait tantôt la tête et tantôt les bras. Tout était coupé, décousu, dans ses discours comme dans ses gestes. C’est que rien ne sortait de son âme, tout partait de sa tête, tout était artificiel. Marat n’aimait personne, ne croyait point à la vertu ; il n’aimait que lui-même.


L’homme des massacres de septembre et des trois cent mille têtes, parlant de sa morale, de son humanité, de son indignation à l’aspect d’une cruauté : c’est à faire frémir ! On dirait un tigre affublé d’une peau de mouton.


Buzot François  (1760-1794)


Marat, que la nature semblait avoir formé pour rassembler en un seul individu tous les vices de l’espèce, laid comme le crime, qu’il suait par tous les pores de son corps hideux et pourri par la débauche, bête féroce, poltronne et sanguinaire, il ne parlait que de sang, ne prêchait que l’effusion du sang, ne se délectait que dans le sang. Ce monstre, qui a fait secte en France au dix-huitième siècle, n’avait au lieu de talents que de l’impudence et de la férocité.


Carlyle Thomas (1795-1881)


médecin des chevaux, médecin des chiens, homme répugnant, extérieurement et intérieurement, homme maudit, jeu cruel de la nature, sombre oiseau de l’espèce des alcyons.


Chambon-Latour Jean-Michel (1739-1815)


Je suis convaincu que Marat est l’intrument d’une faction redoutable qui n’a cessé de travailler à la résurrection de la royauté… J’ai toujours reconnu Marat prêchant de parole et par écrit, le meurtre, l’assassinat, l’attaque des propriétés, le pillage, pour être en même temps l’instrument dangereux dont des hommes plus habiles se servaient, n’osant se couvrir eux-mêmes des crimes qu’ils lui faisaient commettre.


Chateaubriand François René, vicomte de (1768-1848)

L’ancien médecin des gardes du corps du Comte d’Artois, l’embryon suisse Marat, les pieds nus dans des sabots ou dans des souliers ferrés, pérorait le premier, en vertu de ses incontestables droits. Nanti de l’office de fou à la cour du peuple, il s’écriait avec une physionomie plate et ce demi sourire d’une banalité de politesse que l’ancienne éducation mettait sur toutes les faces : «peuple il te faut couper deux cent soixante dix mille têtes» «Caligula de carrefour».


Condorcet Antoine Nicolas de Caritat, marquis de (1743-11794)


Vil intrigant, bas valet de la Cour, esclave soudoyé.


Daudet Léon (1868-1942)


… il vivait modestement dans la crasse, le concubinage… Ses articles de concierge inspiré qui espionne ses locataires sont aussi insipides, malgré leur véhémence que ceux de Camille Desmoulins, ce qui n’est pas peu dire… Etat épileptoïde d’agitation intérieure


Debray Régis (1940-


Le doctrinaire au hachoir


Funck-Brentano Frantz (1862-1947)


… un sombre personnage à face de crapaud, les yeux jaune sale et saillants, le nez écrasé, la bouche bestiale.


Gorsas Antoine Joseph (1752-1793)


C’est en 89 que Marat est sorti de son limon, et que tout fangeux encore, il a rampé, du marais où il était ignoré, dans nos carrefours, où ses triviales injures ont concouru à le faire connaître des «boues et lanternes» dont il s’est déclaré le protecteur, et Camille Desmoulins, le «procureur général». Dès cette époque, nous signalâmes cet insecte, né comme les serpents du Nil de la corruption organisée par les débordements de ce fleuve.



Helvetius Claude Adrien (1715-1771)


Un esprit faux et superficiel.


Lalande Joseph Jérôme (1732-1807)


Marat n'était qu'une bête avant 1789, il devint une bête féroce lorsque la Révolution eut enflammé les têtes et qu’on le vit, le 24 août, dire à la tribune qu'il y avait 270.000 têtes à abattre pour conquérir la liberté.



Michelet Jules (1798-1874)

 

Echappé de sa cave, sans rapport avec la lumière, ce personnage étrange, au visage cuivré, ne semblait pas de ce monde-ci. Il voyait bien l’étonnement des simples, il en jouissait. Le nez au vent, retroussé, vaniteux, aspirant tous les souffles de la popularité, les lèvres fades et comme vomissantes, prêtes, en effet, à vomir les injures et les fausses nouvelles.


Quoi, c’est là Marat? cette chose jaune, verte d’habits, ces yeux gris jaune si saillants... C'est au genre batracien qu’elle appartient à coup sûr, plutôt qu’à l’espèce humaine. De quel marais nous arrive cette choquante créature ?... Son front jaune, son vaste rictus de crapaud souriait effroyablement sous sa couronne de laurier. 

Ses cheveux gras, entourés d’un mouchoir ou d’une serviette, sa peau jaune, ses membres grêles, sa grande bouche batracienne ne rappelaient pas beaucoup que cet être fut un homme.


Nodier Charles (1780-1844)


Il me semble que le bourreau devait être fils de médecin, et que celui-ci, en coupant des têtes de grenouilles pour ses expériences de physique, avait enseigné au second à couper des têtes d'hommes.


Onfray Michel (1959-


« fils de curé et fils de virago », « comme son père, vend de l’illusion », « médecin charlatan », « diplômé fraudeur », « scientifique de caniveau », « escroc », « aigrefin », « l’homme du ressentiment », « quant il peut, voleur », « domestique quémandant des faveurs », « chien galeux »,  « vivisecteur d’arrière-boutique », « acheteur de cadavres humains » « éventreur de cadavres », « pourvoyeur de guillotines », « L’Ami du peuple invite au crime de masse à chacune de ses parutions », « un des principaux instigateurs des massacres de Septembre », « jouit des accouplements avec Thanatos », « corps puant ».


Roland de la Platrière Jeanne-Marie (1754-1793)


chien enragé.


Staël-Holstein, Germaine Necker, baronne de (1766-1817) 


Marat, dont la postérité se souviendra peut-être afin de rattacher à un homme les crimes d’une époque. Marat se servait chaque jour de son journal pour menacer des plus affreux supplices la famille royale et ses défenseurs. Jamais on n’avait vu la parole humaine aussi dénaturée : les hurlements des bêtes féroces pourraient être traduits dans ce langage.


Taine Hippolyte (1828-1893)


un de ces fous lucides qu’on n’enferme pas, mais qui n’en sont que plus dangereux.


Voltaire François Marie Arouet dit (1694-1778)


Ecrivain scandaleux qui pervertit la jeunesse par des leçons d’une fausse philosophie.